Les contributions déterminées au niveau national : bilan et perspectives en Afrique
M. Félix Cédric MAPENYA WANDJI
Internationaliste, Expert en Coopération au développement
L’accord de Paris en 2015 a fixé le cadre d’un nouveau régime mondial dans la gouvernance climatique. Dans ce nouveau paradigme, les Etats africains sont plus que jamais des acteurs dans la lutte contre le réchauffement climatique à travers l’élaboration de plan nationaux ambitieux de réduction des gaz à effet de serre. Seulement, l’épineuse question du financement semble remettre en cause l’élan de ces contributions.
La prégnance de la question sur les changements climatiques, enjeu majeur de la gouvernance internationale, est au cœur des préoccupations et s’impose à juste titre dans le haut des agendas des rencontres multilatérales. L’écho du cri d’alerte qui dénonce l’incidence de l’activité humaine sur le réchauffement de la planète, lancé depuis 1990 par le Groupe International des Experts sur le Climat (GIEC), semble avoir une résonance plus forte que jamais. La Convention Cadre des Nations unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) issue des résolutions du Sommet de la Terre de Rio en 1992 a non seulement marqué le début d’une prise de conscience collective de la communauté internationale mais a également constitué les fondements et le ferment d’une action internationale coordonnée en faveur du climat.
Les contributions déterminées au niveau national : un nouveau régime mondial en faveur du climat
La Conférence des Parties est la pierre angulaire de cette coordination au niveau mondial depuis 1995. C’est une plateforme annuelle qui réunit les parties à la CCNUCC en vue de procéder à une évaluation et/ou une adaptation nécessaire à la mise en œuvre optimale de celle-ci. La rencontre de Kyoto de 1997 (COP 3) a permis de poser le premier véritable jalon de l’engagement en faveur du Climat par le biais d’un protocole historique qui a consolidé le sacro-saint principe de la « responsabilité Commune mais différenciée …» prévue à l’article 3 de la CCNUCC. Sur l’autel d’une solidarité internationale négociée, les pays dits développés dont l’empreinte anthropique sur le réchauffement climatique est la plus saillante, avaient pris l’engagement contraignant d’intégrer des politiques publiques nationales visant la réduction substantielle de leurs émissions des Gaz à Effet de Serre (GES) en plus d’offrir un accompagnement technique et financier pour la même cause au pays du Sud.
Paradoxalement, le niveau d’émission des GES a augmenté en moyenne de 2,2% par an entre 2000 et 2010 alors que la moyenne était de 1,3% entre 1970 et 2000. Dès lors, le protocole de Kyoto est considéré comme un échec à plusieurs égards. Les pays dits développés pointent un doigt accusateur sur une catégorie de pays en développement regroupés sous le vocable « pays émergents » dont l’accélération du processus d’industrialisation sacrifierait toute forme de préoccupation climatique à l’autel d’une course effrénée à la croissance économique. Cet état des choses a entrainé une paralysie du système international dédié à la question. Des discours vaseux, peu ou pas d’action et une rareté criarde des financements en sont les principales manifestations. D’ailleurs, le plan d’action de Bali (COP 13, 2007) en a payé les frais.
L’instauration ou la négociation d’un nouveau régime climatique s’est donc avérée indispensable. Un accord global et inclusif sur le climat demeurait la seule issue pour amorcer une nouvelle dynamique. La réunion de Varsovie en 2013 (COP19) a permis une avancée dans ce sillage en ceci que les pays en voie de développement ont accepté de participer ou s’engager juridiquement et activement à l’effort de lutte contre les changements climatiques et, en 2014 à LIMA (COP 20), les pays du Sud (les africains notamment) ont obtenu la substitution de l’expression « Engagement » prévue à l’article 4 de la CCNUCC par celle de « Contribution » (non moins contraignante) dans le projet d’accord global sur le climat qui a été adopté durant la COP 21 en 2015 et connu davantage sous l’appellation « Accord de Paris ». Ce qui marque le second tournant majeur depuis Kyoto.
L’Afrique dans un nouveau rôle en matière de gouvernance climatique
Dès cet instant, les Etats africains sont plus que jamais acteurs dans la lutte contre le réchauffement de la planète. En effet, les changements climatiques représentent une menace globale pour la survie de l’humanité et nécessitent une riposte globale. Sept (07) pays parmi les Dix (10) les plus exposés aux effets du réchauffement climatique dans le monde sont africains. L’Afrique qui émet le moins de GES est paradoxalement le continent le plus impacté. Le rapport du Comité inter-Etat de lutte contre la Sècheresse dans le Sahel (CILSS) révèle, à titre d’illustration, que le nombre de personnes en situation de crise a crû de 28,2 millions dans l’espace CEDEAO entre 2016 et 2022.
Les contributions déterminées au niveau national (CDN) 2020-2030 prévues dans l’Accord de Paris s’érige en une réponse endogène de chacun des Etats africains parties à la CCNUCC. A ce jour, les 54 Etats africains sont tous « parties » à l’accord de Paris et ont tous soumis des CDN ambitieuses, plus ou moins bien préparées, au secrétariat de la CCNUCC. Ces documents ont majoritairement fait l’objet d’une revue ou ajustement d’où leur validation en 2021. Au sud Sahara, les objectifs conditionnels de réduction des GES se situent en moyenne entre 15% et 23% et les objectifs conditionnels tendent en moyenne vers 13%. Les secteurs prioritaires ciblés sont l’agriculture, la foresterie et autres affectations de terre, l’énergie et les déchets.
L’opérationnalité desdites CDN est consubstantielle – tout au moins à 85% – à l’appui technique et financier réitéré par les pays industrialisés aux bénéfices des pays en développement. Apport sans lequel l’Afrique ne pourrait vraisemblablement pas relever le défi de l’atténuation et de l’adaptation aux changements climatiques. C’est d’ailleurs la principale pierre d’achoppement à la mise en œuvre des CDN car, le financement climatique est loin de tenir les promesses de ses fleurs. Depuis 2015, les Etats africains sont toujours en attentes des ressources du Fonds vert sans omettre l’enveloppe de 100 milliards USD promis lors de la réunion du G7 en 2009 au Royaume Uni.
L’atteinte des objectifs conditionnels, c’est dire ceux qui relèvent des financements propres des Etats (15%), suscite également des inquiétudes. Les économies africaines subissent divers chocs exogènes ces dernières années au nombre desquels les plus aigus sont la crise sanitaire mondiale ambiante (Covid-19), les effets pervers induits par le conflit-russo-ukrainien ou encore les crises sécuritaires transnationales. Ces évènements ont profondément perturbé les projections des Etats africains dans tous les domaines au point de faire émerger quelques fois un dilemme entre l’urgence climatique et l’urgence économique et social. Le pronostic vital de l’humanité étant engagé, il devient urgent de questionner la faisabilité des mécanismes d’action ou d’intervention à travers lesquels les pays africains peuvent contribuer efficacement et durablement à l’action internationale en faveur du climat. Cela passe par la tenue des promesses des pays industrialisés, une gouvernance climatique en phase avec la réalité et une implication plus affirmée des pays africains à travers des CDN plus ambitieuses.