Le pétrole à l’épreuve du confinement

Le pétrole à l’épreuve du confinement

Par : Stefan Ambec et Claude Crampes, 

Toulouse School of Economics


Depuis le début de la pandémie, les cours du pétrole se sont effondrés. Au plus bas, le lundi 20 avril, le baril livrable en mai s’est échangé au prix historique de moins 37,63 dollars. Ce jour-là, l’or noir ne valait pas plus que les encombrants dont nous voulons débarrasser nos caves. Harold Hotelling, qui a théorisé l’évolution du prix du pétrole en 1931, a dû se retourner dans sa tombe. Si cette chute vertigineuse n’est pas compatible avec le modèle d’Hotelling, une extension récente de cette théorie pourrait la réconcilier avec les faits. Et nous donner des éléments de réflexion pour envisager la suite.

Les prix négatifs ne sont pas réservés aux nuisances tel que les déchets ou la pollution. On peut aussi payer pour se débarrasser de biens de consommation comme l’énergie. Dans un billet précédent, nous avons expliqué comment le caractère non stockable de l’électricité pouvait justifier qu’elle s’échange à un prix négatif sur une courte période. La chute de consommation qui accompagne la pandémie est propice à ce type d’épisode comme cela a été le cas le lundi de pâques en Allemagne (−70 euros le MWh), en Belgique (−91 euros) et en France (−14 euros). Alors que l’offre et la demande d’électricité doivent être ajustées à tout instant, ce n’est pas le cas pour les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) qui peuvent faire l’objet de stockage et de déstockage. C’est la possibilité de stocker le pétrole dans un petit volume qui nous fait préférer cette source d’énergie comme carburant pour nos voitures et nos avions.

Néanmoins, stocker du pétrole à grande échelle nécessite des infrastructures telles que des citernes ou des installations souterraines dédiées, voire les pipelines, qui sont en quantités limités. L’offre de pétrole n’ayant pas entièrement suivi la baisse spectaculaire de la demande due à la crise sanitaire, le pétrole s’est accumulé dans les installations de stockage. Il semble que ce soit la saturation de ces infrastructures aux Etats-Unis qui ait fait plonger le prix du baril jusqu’à devenir négatif. Des détenteurs de barils livrables en mai n’en ayant plus l’utilité, et craignant de ne pas pouvoir les stocker (ou bien à un prix prohibitif), ont préféré se délester de ces titres en payant les acheteurs. Une réaction un peu brusque pour des traders qui auraient dû anticiper ce risque avant d’en arriver là. Et qui ne va pas améliorer les comptes des entreprises qui prennent de telles positions sur le marché à terme (les compagnies aériennes par exemple).

Stocker le pétrole sous terre plutôt qu’en surface

Comment gérer au mieux les ressources naturelles épuisables comme le pétrole ? L’économiste Harold Hotelling a répondu à cette question dans un article publié en 1931. Pour lui, un champ de pétrole est un actif financier qu’on valorise par l’extraction et la vente échelonnées dans le temps. Le rythme d’extraction est tributaire de son rendement c’est-à-dire du prix de marché du pétrole. Lorsque le prix est élevé, on a intérêt à extraire et vendre beaucoup. Si le prix baisse, mieux vaut laisser le pétrole sous terre et attendre des jours meilleurs. Le gisement pétrolier est donc un stock de ressources que l’on déstocke à un rythme qui dépend de son prix de marché.

La théorie d’Hotelling, bien que très séduisante intellectuellement, est démentie par les faits pour ce qui est du pétrole. En particulier, on devrait s’attendre à ce que les producteurs ferment le robinet durant cette période de prix bas en attendant la reprise de l’après coronavirus. En réalité, l’offre de pétrole n’est pas aussi réactive aux variations de prix que ce que supposait Hotelling.

Hotelling sous pression

Un article récent revisite la théorie d’Hotelling en prenant en compte les contraintes géologiques de l’exploitation du pétrole. Les auteurs partent du constat que le rythme d’extraction est tributaire de la pression que la ressource exerce au fond du puits. Elle diminue au fur et à mesure que le puits se vide ce qui réduit la quantité extraite. Cette propriété physique se traduit dans le modèle d’Hotelling par une capacité d’extraction croissante avec la quantité de pétrole disponible. Au final, l’entreprise qui exploite le champ de pétrole a peu de contrôle sur l’extraction une fois le forage réalisé. La décision stratégique n’est donc pas le rythme d’extraction mais plutôt le rythme de forage. A partir de donnés d’exploitations pétrolières au Texas, les auteurs montrent que le forage de nouveaux puits varie bien avec le prix du pétrole. Les forages augmentent lorsque le prix du baril augmente et baissent dans le cas contraire. Il en résulte un délai d’adaptation de l’offre de pétrole au prix du baril : ce n’est que lorsque les nouveaux forages sont pleinement actifs que l’offre de pétrole augmente. La baisse de prix se réalise donc avec retard.

Quelles leçons en tirer ?

Qu’en déduire sur la crise du coronavirus et le monde d’après ? La première chose est que la hausse de prix du pétrole va être amplifiée lors du rebond économique post-crise. En effet, la chute des prix a provoqué la mise en sommeil des gisements les moins profitables de pétrole de schiste et de sable bitumeux et pour certains peut-être leur arrêt définitif. Lorsque l’activité économique reprendra, après avoir puisé dans les stocks de pétrole de surface, les forages vont redémarrer. Néanmoins, il faudra du temps avant que ces nouveaux gisements aient un impact significatif sur l’offre. Autrement dit, il faut s’attendre à une hausse de prix amplifiée par les capacités d’extraction limitées si la reprise est rapide.

Deuxièmement, même si la baisse des prix observée est inédite par sa vitesse et son ampleur, les compagnies pétrolières sont habituées à ajuster leur activité aux variations de prix du baril. Elles l’ont fait dans le passé, engrangeant des profits lors des périodes fastes de boom économique et réduisant leurs investissements dans l’exploration et l’exploitation en période de vaches maigres. De plus, l’industrie pétrolière rassemble des grands groupes aux reins solides qui ont la capacité financière de diversifier les risques auxquels ils font face. Ce n’est donc certainement pas l’industrie à soutenir en priorité. Les milliards de dollars d’aide que lui ont versé les gouvernements des Etats-Unis et du Canada n’incitent pas à une gestion responsable. Rien ne justifie que le contribuable canadien paye 1,72 milliard de dollars de subvention au nettoyage des puits de pétrole et de gaz inactifs. C’est au pollueur de payer, pas au pollué.

Puisque la lutte contre le dérèglement climatique nécessite une transition vers les énergies décarbonées, les compagnies pétrolières et gazières se doivent de diversifier leurs activités hors des énergies fossiles. Certaines l’ont déjà fait en investissant dans les énergies renouvelables, les services énergétiques et la recherche sur la conversion des énergies (« power-to-gas », batteries). Pour qu’elles en soient récompensées, encore faut-il que les aides publiques soient bien ciblées sur les technologies en phase avec la transition vers un monde décarboné. Les politiques énergétiques accompagnant la sortie de la crise sanitaire doivent profiter de l’occasion qui se présente pour mettre l’économie en phase avec ce qui semble être, pour l’instant du moins, les aspirations de la population.

Source : www.latribune.fr

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