Guerre Russo-Ukrainienne ou la crise du coût de la vie en Afrique ?

Guerre Russo-Ukrainienne ou la crise du coût de la vie en Afrique ?

M. Yannick Arnold ENOAH

Economiste


Malgré la distance qui sépare le continent africain des parties prenantes au conflit, la région continue de subir les affres de la guerre sur son économie. Les effets s’y diffusent de manière pernicieuse de par sa structure d’une part et d’autre part en raison des nombreuses contraintes exogènes relatives au conflit.

Au-delà des nombreux progrès réalisés ces dernières décennies par les économies africaines en termes d’autonomisation et de dynamisation de leur structure, force est de constater que le continent a du mal à se défaire de sa dépendance aux produits de base importés. Cette situation laisse le pouvoir d’achat de ses populations à la merci des fluctuations des prix issues des conjonctures internationales défavorables. Le conflit Russo-Ukrainien qui impacte considérablement la chaine logistique internationale en est une illustration de plus de cette fragilité économique et de la nécessité de rompre avec cette dépendance.

Des économies nationales structurellement extraverties et concurrentes.        

Une des caractéristiques des économies africaines est qu’elles sont fortement dépendantes des échanges avec l’extérieur, entrainant de ce fait la forte contribution du commerce extérieur à la formation des produits intérieurs bruts nationaux. Les économies africaines sont des économies de rente, spécialisées dans la production des matières de base telles le fer, le cuivre, la bauxite, le pétrole le bois qui constituent encore aujourd’hui les principales sinon quasiment les seules sources de rentrées de devises pour la plupart des pays africains. A côté de ces produits miniers et minéraliers figurent les produits agricoles (le coton ; la banane-plantain ; le cacao et le café) dont la principale direction d’exportation est l’Europe occidentale. Selon la Banque Mondiale (2015), les produits miniers (dont le pétrole) représentaient 65 % des exportations de l’Afrique et 14 % de ses importations en 2005. Les produits agricoles représentaient 11 % des exportations et 14 % des importations, et les produits manufacturés 21 % des exportations et 20 % des importations. Ces chiffres démontrent clairement que l’Afrique dépend de sa production de matières premières, surtout des matières brutes non agricoles. Cependant, l’absence des chaines de transformation des matières premières exportées participe à hypothéquer la création de valeur ajoutée, limitant ainsi les effets d’entrainement sur les revenus, l’emploi et les investissements dans ces pays.

Les importations quant à elles sont le reflet des habitudes de consommation des populations qui sont pour bon nombre d’entre elles satisfaites par les produits issus du marché étranger, quand bien même celles-ci subissent les prix, puisqu’étant bien trop petites pour exercer une quelconque influence sur ceux-ci. Au fil des années, la détérioration des termes de l’échange s’est accrue de par les déficits commerciaux accumulés du fait de leur trop grande dépendance aux produits alimentaires en provenance des pays d’Europe occidentale et d’Asie (pâtes alimentaires ; blé ; riz ; poissons ; huiles végétales ; etc.) ; aux produits phytosanitaires, pharmaceutiques et intrants (médicaments ; engrais ; pesticides ; etc.) et aux produits manufacturés destinés à l’équipement d’une industrie embryonnaire et des classes sociales les plus huppées. A titre d’illustration, l’Afrique du Nord (Algérie, Égypte, Libye, Maroc et Tunisie), le Nigéria en Afrique de l’Ouest, l’Éthiopie et le Soudan en Afrique de l’Est, et l’Afrique du Sud représentent 80 % des importations de blé. La consommation de blé en Afrique devrait atteindre 76,5 millions de tonnes d’ici 2025, dont 48,3 millions de tonnes, soit 63,4 pour cent, devraient être importées en dehors du continent. Il en résulte que la proportion de commerce de chaque économie par rapport à son marché national est faible, mais cette faiblesse n’est pas compensée par le commerce sur le marché régional. Les pays producteurs du café, du cacao, des bananes et des bois tropicaux, n’exportent que très peu de leur production vers les partenaires africains. La Mauritanie, dont l’extraction du minerai de fer fournissait environ 75% des recettes totales en 1974, est plus sensible à la conjoncture du marché européen de la métallurgie qu’à l’évolution de la conjoncture économique au Sénégal ou au Mali. On constate donc, contrairement aux nations européennes, une absence de complémentarité surtout de l’exportation de produits de base miniers et agricoles.

Face à la dépendance, des Economies africaines qui subissent à grands coûts les contrecoups de la guerre 

L’Afrique étant fortement dépendante des importations en provenance des pays protagonistes au conflit, elle se retrouve exposée aux chocs des prix dus aux perturbations dans la chaine d’approvisionnement de certains produits de base et matières premières. La Russie, troisième plus grand producteur de pétrole au monde, derrière les États-Unis et l’Arabie Saoudite et principal pourvoyeur de l’Afrique en engrais, subit les sanctions imposées par les pays occidentaux. Cette situation contribue à exacerber les perturbations sur les flux commerciaux entre la Russie et l’Afrique, notamment en raison de la fermeture d’opérations portuaires vitales en mer Noire. Ce dérèglement de la chaine d’approvisionnement a entraîné un ajustement à la hausse des prix d’un ensemble de produits incontournables au système productif africain.

La flambée des prix du Gaz et de pétrole

Comme le souligne depuis Lagos Toyin Akinosho, l’éditeur de la lettre spécialisée Africa Oil and Gas : « l’Afrique ne tire pas d’avantages de l’augmentation des prix du pétrole brut, car la plupart des pays producteurs ne produisent pas suffisamment. Que ce soit le Nigeria, le Ghana, l’Égypte ou l’Angola, ces pays ont des productions déclinantes et ne peuvent donc pas profiter de ces barils à plus de 100 dollars ». A contrario, leur consommation en produits pétroliers est couverte à 98% par les importations en provenance de Russie pour certains, et des pays du golfe persique pour d’autres. La flambée des prix de l’énergie, notamment du gaz, s’est répercutée aussi bien sur le coût des transports et par conséquent sur tout le système productif africain que sur la production mondiale de fertilisants, tributaires de cette ressource.

La pénurie et la flambée des prix des intrants agricoles 

Avec une augmentation des prix de près de 95 % pour les engrais phosphoriques, de 78 % pour l’urée et de 138 % pour les engrais potassiques, l’explosion des coûts est insurmontable pour les agriculteurs dont les futures récoltes seront pénalisées. Cette situation a de facto décuplé le coût de production de l’ensemble des produits agricoles, entrainant ainsi la hausse des principaux produits alimentaires tels le pain (20%) ; l’huile (50%) ; les céréales (40%) ; etc.

La baisse du niveau des exportations

Les exportations de matières premières du Nigeria, de l’Angola, de la RDC se sont effondrées. La Côte d’Ivoire et le Kenya notamment ont vu leurs activités de commerce agricole vers l’étranger plonger, avec la rupture des chaînes d’approvisionnement. Des gouvernements financièrement limités et surendettés ont échoué à honorer leurs dettes et ont réemprunté en urgence à des couts usuraires, creusant ainsi leurs déficits. L’impact le plus visible de la guerre sur l’Afrique est la hausse des prix du carburant et des denrées alimentaires, l’inflation et l’instabilité financière. Les plus pauvres sont les plus durement touchés car une grande partie de leurs dépenses de consommation est consacrée à la nourriture et aux transports. Cependant, cette situation qui peut sembler préoccupante pour le continent africain constitue une opportunité à saisir dans le sens où il gagnerait à se recentrer à travailler pour l’atteinte d’une autonomie régionale au niveau alimentaire et énergétique. Cet objectif passe d’une part par la spécialisation des économies nationales afin de favoriser l’émergence d’un système de complémentarité africain, et d’autre part l’accélération de la mise sur pied du marché commun africain qui contribuera à favoriser les échanges interafricains et réduire à sa plus simple expression la dépendance observée aujourd’hui.

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