COVID-19 : les plans de relance ne sont (finalement) pas verts
Les plans de soutien à l’économie des pays du G20 ne contribuent pas à leur décarbonation, assurent plusieurs économistes de renom, dont Joseph Stiglitz. Mais des solutions existent.
Réduire nos rejets de gaz à effet de serre (GES) ? On sait faire. En compilant les statistiques d’émissions nationales, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours, le climatologue Thomas Boden (Oak Ridge National Laboratory) nous donne un aperçu de ce qui fonctionne vraiment.
Un choc pétrolier ? Pas si sûr. Celui de 1973, qui a vu quadrupler le prix du brut, n’a contribué à baisser les émissions mondiales que de 0,6% entre 1974 et 1975. L’année suivante, le montant de notre facture carbone bondissait de 6%. Le troisième choc pétrolier (2003-2011), période durant laquelle le prix du baril a dépassé les 147 $, est, lui, désastreux. Entre 2003 et 2012, les émissions mondiales de CO2 ont progressé de … 31%.
Toutes les crises ne se valent pas
Une bonne guerre ? Là encore, tout n’est pas comparable. Le premier conflit mondial n’a pas tari notre appétit pour les énergies fossiles. Résultat : des émissions qui bondissent de 10% entre 1914 et 1918. La seconde guerre mondiale s’avère plus pacifique pour le climat : -2,7% de gaz carbonique entre 1939 et 1945.
Quid des crises économiques ? La Grande dépression s’avère très efficace. Il faudra attendre 7 ans pour que le monde renoue avec des niveaux d’émissions comparables à ceux de 1929. La crise financière de 2008 est très surfaite : -0,9% de dioxyde de carbone en un an, à peine. L’année suivante, les usines cracheront 5% de gaz carbonique en plus.
Un effort à poursuivre
Que penser de la pandémie de Covid-19 ? Le confinement de plus de 4 milliards d’habitants, l’arrêt d’une bonne partie de l’économie planétaire, le maintien au sol et dans les ports des avions et de la flotte de commerce ont sensiblement réduit nos consommations d’énergie. L’agence internationale de l’énergie (AIE) a fait les comptes : notre bilan carbone pourrait s’alléger de 8% en un an, si nous tenons le rythme du confinement. Inégalé et conforme à l’effort que nous devrions habituellement produire si nous comptons stabiliser le réchauffement à 1,5 °C, comme nous nous y sommes engagés lors de la COP 21.
Reste à savoir si les plans de relance annoncés nous placent sur la voie de la décarbonation à marche forcée ? C’est la question que se sont posée plusieurs économistes de renom. Le « prix Nobel » Joseph Stiglitz, l’ancien économiste en chef du FMI Nicholas Stern et quelques collègues ont évalué la touche de verdissement de nos économies que pourraient apporter les 7.300 milliards de dollars de stimuli économiques annoncés ces dernières semaines par les gouvernements des pays du G20.
Des plans incolores
Dans leur étude, publiée ce mardi 5 mai, les auteurs indiquent avoir étudié les effets de 300 mesures. Suspense insoutenable : 4% d’entre elles vont aggraver la situation climatique (le soutien sans condition aux compagnies aériennes, par exemple), 4% vont réduire à long terme notre empreinte carbone (l’aide au développement du véhicule électrique). Ni verts, ni bruns, 92% des rescue packages sont classés incolores : « elles maintiennent le statu quo », indiquent les auteurs. Dit autrement, malgré leurs annonces, les gouvernements ne profitent pas de la « pancession » pour décarboner nos économies.
Ce ne sont pourtant pas les appels à le faire qui font défaut : associations, parlementaires. Le 3 mai, une centaine de grands patrons français et internationaux ont signé une tribune dans Le Monde « pour faire de la relance économique un accélérateur de la transition écologique ». Fin avril, leurs confrères allemands faisaient le même genre de propositions.
A supposer que toutes ces parties prenantes soient véritablement touchées par la grâce climatique, qu’attend-on ? Des idées ? Qu’à cela ne tienne. Les auteurs de l’étude ont interrogé 231 économistes des ministères des finances, des banquiers centraux et autres experts sur les politiques de relance à leurs yeux les plus efficaces.
Retour d’expérience
En se basant sur les plans de relance expérimentés à la suite de la crise de 2008, ces experts préconisent de ne pas lésiner sur le développement des énergies renouvelables et des technologies « décarbonantes » (hydrogène, captage-stockage de CO2, modernisation des réseaux) la rénovation des bâtiments, l’afforestation : des secteur créateurs de d’emplois à court terme. Etant entendu que la réussite de ces programmes tient non seulement au montant investi mais aussi à leur rapidité de mise en œuvre.
A contrario, ils déconseillent de soutenir, sans contrepartie, compagnies aériennes, construction « d’infrastructures de transport traditionnelles » (des routes) et consommation à tout crin. « Nous avons déjà suffisamment investi pour porter le réchauffement à 2°C, indique Cameron Hepburn, l’un des auteurs. Si nous injectons 10.000 milliards de dollars de plus dans les énergies fossiles, nous pouvons dire adieu à l’accord de Paris », conclut le professeur d’économie de l’environnement à l’université d’Oxford.
Un article du Journal de l’environnement.