Climat : refuser le credo du « hâtons-nous lentement »
Jean Jouzel
Climatologue, ancien vice-président du conseil scientifique du GIEC
Le climatologue Jean Jouzel revient sur « l’accueil glacial » reçu fin août lors des rencontres annuelles du Medef. Il appelle tous les acteurs du monde économique à « ne pas faire l’impasse » sur les catastrophes climatiques et les coûts associés, et à engager la transition vers la neutralité carbone sans plus attendre.
Chercheur dans le domaine de l’évolution de notre climat, j’ai fin août participé à une table ronde organisée dans le cadre des rencontres annuelles du Mouvement des entreprises de France (Medef). Comme j’y étais invité, j’ai fait un état des lieux, très factuel, du lien entre le réchauffement climatique – attribué de façon désormais certaine à nos activités à travers l’augmentation de l’effet de serre – et notre consommation énergétique.
J’ai tout d’abord rappelé que, depuis les années 70, les combustibles fossiles ont contribué pour près de 75 % à cette augmentation. M’appuyant sur les rapports du Giec, j’ai ensuite dit qu’il serait plus facile aux jeunes d’aujourd’hui et à la nature qui nous entoure de s’adapter au climat de la seconde partie de ce siècle si le réchauffement était limité à 1,5°C plutôt qu’à 2°C.
En réalité, nous partons de façon quasi délibérée vers un réchauffement qui pourrait atteindre 3°C à l’échelle planétaire, soit 4°C voire plus dans notre pays. Nous savons d’ores et déjà qu’à horizon 2030 nous aurons deux fois trop d’émissions pour garder des chances de respecter à long terme cet objectif 1,5°C. Face à ce constat, et alors que les émissions liées aux combustibles fossiles continuent d’augmenter, j’ai redit l’urgence d’agir dans l’objectif d’une transition rapide vers la neutralité carbone et relayé l’appel d’Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, à arrêter tous les investissements dans les combustibles fossiles.
Refuser l’égoïsme vis-à-vis des jeunes
Patrick Pouyanné, PDG de Total Énergies, est l’intervenant suivant. Sa réaction « cette transition prendra du temps », à travers laquelle il accepte implicitement que nous allions vers + 4°C dans notre pays, et « il y a la vie réelle », celle tout à fait exacte d’une demande croissante de produits pétroliers mais qui fait l’impasse sur les catastrophes climatiques et les coûts associés, ne m’a pas surpris. L’accueil chaleureux qu’a reçu cette intervention m’a, elle, interrogé, comme si ce « hâtons nous lentement » était le credo des participants à ces journées du Medef.
Cette table ronde étant très contrainte en termes de durée, j’ai regretté de ne pas avoir eu l’opportunité de dire quelques mots au moment de sa conclusion. Je m’y étais préparé. J’aurais aimé réaffirmer qu’il faut envisager cette transition de façon positive, même si elle est loin d’être exempte de difficultés, dont celle d’un développement économique équilibré dans un monde où la sobriété doit être au rendez-vous ; qu’en matière d’énergie elle est inéluctable, car ne pas atteindre neutralité carbone c’est accepter que le réchauffement se poursuive indéfiniment, ce qui serait d’un égoïsme sans nom par rapport aux jeunes d’aujourd’hui ; et qu’elle est une chance pour l’Europe.
Cette transition est avant tout porteuse d’espoir pour ces jeunes, car elle est synonyme de recherche, d’innovations – comme celles qui dans la seule décennie 2010 ont permis une diminution impressionnante du coût des énergies renouvelables, division par dix pour le solaire et jusqu’à un facteur six pour l’éolien et pour le stockage d’énergie –, d’opportunités multiples, de créations d’emplois et donc de dynamisme économique. N’étant pas économiste, j’ai été ravi de voir cette idée d’un dynamisme économique associé à la transition, mise récemment en avant par Dominique Seux dans les colonnes de Ouest-France.
Source : www.ouest-france.fr