Changements climatiques en Afrique : quelle place pour l’adaptation ?

Changements climatiques en Afrique : quelle place pour l’adaptation ?

M. Brice de Ndjock

Diplomate, Chercheur en Finance Climat


Le soutien au développement des politiques climatiques en Afrique connait un déséquilibre qui s’établit largement en défaveur des politiques d’adaptation, dans un contexte de vulnérabilité qui suggère un rapport inversé ou du moins un certain équilibre entre atténuation et adaptation.

Bien que le monde soit pleinement engagé dans les négociations sur les solutions à apporter aux changements climatiques et à leurs conséquences, les efforts  investis à date n’ont toujours pas produit une réduction substantielle et conséquente des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), pas plus qu’ils n’ont contribué à une amélioration sérieuse des capacités de résilience des régions les plus exposées. D’après les estimations récentes du GIEC, l’impact des changements climatiques sera sévère particulièrement pour les populations pauvres et vulnérables résidant pour la plupart dans les pays en développement, connus pour leurs capacités très réduites à faire face à leurs conséquences. Pour ces populations dont la plupart se trouve sur le continent africain, s’adapter aux conséquences attendues et inévitables des changements climatiques est une véritable gageure mais reste un impératif de survie.

L’adaptation en Afrique : une nécessité urgente mal intégrée aux priorités internationales

Historiquement, l’adaptation qui évoque une démarche d’ajustement des systèmes humains et naturels pour faire face aux conséquences des changements climatiques a souvent été une option de politique climatique marginalisée dans les arènes de la gouvernance climatique internationale, et par ailleurs perçue comme le « cousin pauvre » de l’atténuation. Mais, avec des manifestations de plus en plus sévères observées ces dernières années en Afrique et dans d’autres régions en développement, l’adaptation est devenue un sujet courant dans l’agenda des négociations climatiques internationales. C’est dans cette même veine, qu’elle fut élevée au rang de priorité clé par les agences de développement opérant dans les pays les plus vulnérables.

Toutefois, une étude de Buchner et al. montre que dès 2011 le ratio des financements entre l’atténuation et l’adaptation se situait seulement à 95/5. Entre 2017 et 2018, seulement 5% des financements climatiques internationaux suivis avaient été alloués à l’adaptation. Durant cette même période, l’Afrique avait reçu 30 milliards de dollars en guise de financements climatiques publics et privés et sur ce montant total seulement 3,5 milliards avaient servi à financer l’adaptation. La promesse faite à Cancun en 2010 d’assurer un équilibre entre atténuation et adaptation en matière de financement n’a donc  jamais connu une réalisation effective, car l’Afrique tout comme les autres régions concernées restent confrontées à un fort biais en faveur du financement de l’atténuation. Si l’on considère le volume de financements alloués tant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’à l’adaptation comme indicateur de l’importance relative accordée à chacune de ces deux options des politiques climatiques, on serait fondé d’arguer que l’adaptation est reléguée au second plan en Afrique.

Une disparité aux origines plurielles

Ce constat peut intriguer au moment où  la Global Commission on Adaptation (GCA) estime que l’Afrique aura besoin de 30 milliards de dollars par an pour s’adapter aux conséquences des changements climatiques d’ici 2030, mais les origines d’une telle disparité sont perceptibles à plusieurs niveaux. Premièrement, la plupart des financements pour l’adaptation acheminés vers l’Afrique aujourd’hui le sont sous forme de subventions provenant d’institutions telles que le Fonds Vert Climat (FVC), le Fonds pour l’Adaptation (FA), le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) ou via des aides bilatérales et des fondations philanthropiques. Le manque de financements en faveur de l’adaptation en Afrique révèle par ailleurs que les instruments de financement mixtes conventionnels (tels que les prêts conventionnels, les obligations et les investissements en actions) ne sont pas intéressants pour inciter les investissements dans les technologies et les activités d’adaptation, ni pour transférer les risques. Sur le financement climatique privé total mobilisé par l’aide au développement, 3% seulement étaient destinés à l’adaptation en 2019, une contrainte importante à la satisfaction des besoins d’investissement en la matière lorsqu’on sait que le secteur privé est le premier pourvoyeur de financements climatiques internationaux.

Deuxièmement, la place occupée par l’adaptation en Afrique a été structurée par les modalités de son émergence comme option des politiques climatiques ainsi que les progrès réalisés en la matière dans le contexte des négociations de la Convention Cadre des Nations Unies pour les Changements Climatiques (CCNUCC). L’adaptation et l’atténuation sont effectivement les deux stratégies envisagées dans le cadre des politiques climatiques, mais leurs degrés d’opérationnalisation respectifs sont restés très inégaux. La CCNUCC ayant clairement donné la priorité à l’atténuation dans la définition des actions à mener en faveur du climat, les avancées les plus importantes ont principalement concerné l’organisation de la réduction des émissions. Ce cap fixé par la Convention a favorisé le développement de différents types d’options et d’architectures alternatives pour organiser la participation de l’Afrique à la réduction des émissions au niveau global. Par contre, rien de comparable sur la gestion des impacts et l’adaptation n’a émergé des négociations internationales. Les progrès générés par le processus des négociations sont apparus beaucoup plus laborieux et les politiques d’adaptation ont gardé une place marginale dans l’architecture des accords internationaux, même si leur importance s’est progressivement consolidée. Cet état de fait s’est matérialisé par des revendications constantes des pays africains à qui les changements climatiques imposent un impératif urgent de s’adapter compte tenu des conséquences graves déjà visibles sur le continent.

Troisièmement, l’adaptation est une nécessité qui concerne au premier chef les pays les plus vulnérables. De ce fait, les pays africains caractérisés par leur capacité d’adaptation et de résilience très limitées, devraient a priori s’approprier l’urgence d’aménager des conditions favorables pour une amélioration de leur accès aux financements internationaux disponibles à cet effet. En effet, pour s’adapter au changement climatique l’Afrique a besoin d’accéder aux financements internationaux disponibles. Mais à l’observation, l’Afrique fait face à des contraintes spécifiques qui limitent son accès aux financements internationaux des politiques d’adaptation. Ces contraintes appellent des ajustements importants qui pourraient faciliter la captation des ressources disponibles sur le plan international pour le financement des politiques d’adaptation sur le continent.

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