L’Afrique invitée à « revoir son système agricole et alimentaire » face au Covid-19

L’Afrique invitée à « revoir son système agricole et alimentaire » face au Covid-19

Matthieu Brun

Chercheur (agriculture, développement, relations internationales), Docteur en science politique. Club DEMETER Sciences Po Bordeaux.


La pandémie du coronavirus n’a pas seulement un impact négatif sur les plans sanitaire, environnemental, économique… Cette maladie a également affecté le secteur agricole notamment en Afrique. Suffisant pour le chercheur Matthieu Brun d’analyser la probable crise alimentaire qui secouerait le continent noir dans une interview accordée à nos confrères du site d’information lepoint.fr.

La transformation de l’agriculture africaine pourrait-elle se faire sans pesticides ou insecticides, dont l’utilisation est aujourd’hui très controversée ?

Il y a une volonté des ménages urbains de consommer bio et local. Au Maroc, le mouvement « beldi » connaît un certain succès. Mais les menaces qui pèsent sur le système agricole sont lourdes. Le gaspillage et les pertes en Afrique sont énormes. L’Égypte jette, par exemple, entre 20 et 40 % de sa production. Les dommages liés aux criquets en Afrique de l’Est sont aussi dévastateurs. Il est donc compliqué, en tout cas à l’heure actuelle, de refuser toute forme de pesticides, qu’ils soient de synthèse ou organiques. Aujourd’hui, il y a encore trop peu de solutions. Il faudrait des réponses locales et développer la recherche sur place.

Quels sont les obstacles qui pourraient freiner l’émergence d’un nouveau système ?

Un des nombreux blocages est celui du financement. Dans les années 1990 et 2000, l’agriculture a souffert d’un désintérêt global de la part des investisseurs. Ce n’était pas « bankable » de mettre de l’argent dans le secteur, on préférait l’industrie. Depuis, le vent a un peu tourné, les bailleurs de fonds le voient d’un autre œil. Mais l’obstacle majeur à l’évolution du système agricole reste l’agenda politique. En effet, malgré toute la bonne volonté du monde, les solutions doivent venir de la base. Une réflexion nationale, qui prend en compte les spécificités et vulnérabilités locales est indispensable au changement.

Le changement climatique, auquel l’Afrique est de plus en plus exposée, peut-il rebattre les cartes ?

C’est un obstacle de taille. L’Afrique subit tout ou presque, de graves inondations et des périodes de sécheresse intense. Les ressources en eau du continent sont, en outre, mal réparties. L’enjeu de coopération autour est énorme. D’autant plus que l’agriculture n’est pas le seul domaine à en dépendre. Elle est en rude concurrence avec l’industrie ou encore le tourisme, souvent prioritaires. Il faudra une très forte volonté d’adaptation de la part des décideurs pour endiguer les répercussions du changement climatique.

L’émergence d’une classe moyenne africaine urbanisée a-t-elle changé les attentes des consommateurs en matière d’alimentation ? Dans ce contexte, comment appréhender les évolutions du secteur de l’agriculture ?

On a constaté que cette nouvelle population, qui a davantage de moyens, ne faisait pas de dépenses supplémentaires dans l’alimentation, mais plutôt dans son loyer ou dans l’éducation des enfants. Mais on ne peut nier que les habitudes alimentaires changent. La classe moyenne consomme plus de riz que de manioc ou autre racine, car il se conserve mieux et prend moins de place, par exemple. Ces nouvelles consommations, qui se développent dans la plupart des pays du continent, poussent les autorités à repenser les systèmes de sécurité alimentaires et d’approvisionnement. À l’heure actuelle, l’agriculture africaine ne peut répondre à ces exigences, même si les chiffres sont encourageants.

D’après vous, les gouvernements africains prennent-ils la mesure de la tâche à accomplir ?

L’exemple du Maroc le laisse penser. En 2008, le royaume lance le « Plan Maroc vert », un programme ambitieux de transformation de l’agriculture. Depuis, face à l’urgence – le pays est en proie à une forte sécheresse –, Mohammed VI a demandé à son ministre de l’Agriculture de revoir sa copie. Après la COP22 de Marrakech, une grande initiative autour d’une agriculture plus écologique et respectueuse des ressources en eau a également été lancée. Même s’il y a encore des ajustements à faire, ce sont des décisions à souligner. Et qui font des émules. Un an après le Maroc, le Gabon a mis sur pied son « Gabon vert ».

En août dernier, le Nigeria a fermé ses frontières pour officiellement lutter contre la contrebande de riz et favoriser sa production locale. Est-ce une réponse adaptée, d’après vous ? L’agronationalisme peut-il être une solution ?

En agissant de la sorte, le Nigeria a voulu protéger son marché intérieur. C’est une réponse qui peut porter ses fruits, mais à court terme seulement. Sur un temps plus long, une coopération transnationale sera, à mon sens, plus pertinente. C’est d’ailleurs tout l’objectif de la zone de libre-échange africaine (Zleca). Sa mise en œuvre facilitera les échanges et donnera une dynamique politique positive aux problématiques sanitaires et alimentaires. Car, je le rappelle, en matière d’agriculture comme dans d’autres domaines, il faut une solution africaine aux enjeux africains.

Source : www.vivafrik.com

 

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