Les répercussions économiques d’un confinement général au Cameroun
Par Louis Narcisse NGONO
Docteur Ph.D Science Politique / Relations internationales, expert en management de la durabilité
Lorsqu’on évoque le confinement général du fait du Coronavirus, beaucoup s’inquiètent pour le secteur informel, lequel concentre environ 90% des travailleurs camerounais. Quelles pourraient être les conséquences d’un confinement général au Cameroun ?
Il faudrait tout d’abord rappeler qu’avec l’amplification de la crise sanitaire mondiale, certains pays dont la Chine, l’Italie, la France, l’Espagne, et l’Allemagne, certains Etats fédérés aux Etats unis ont dû recourir au confinement général. Cette mesure s’est très vite imposée dans les quatre coins du monde et même les pays qui jadis étaient réfractaires comme l’Angleterre ont dû récemment se plier à la réalité. Depuis l’implémentation de cette mesure, les conséquences économiques dans le monde n’ont pas été des moindres. Au plan national, les économies sont aujourd’hui quasiment à l’arrêt. Tous les secteurs d’activités ont été paralysés. Au niveau international, il y a quasiment eu un gel des échanges et les pays vivent presque en autarcie. Les perspectives économiques positives mondiales ont été abandonnées et le monde doit se préparer à une récession sans précédent. L’Afrique en général et le Cameroun en particulier qui ont semblé au départ être épargnée, puis touchée relativement commencent à voir le nombre de cas progresser dangereusement et l’idée d’un confinement général germe même de manière inconsciente dans les esprits avec des craintes légitimes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il faut aussi s’attendre à une souffrance socio-économique sur notre sol. En effet, l’hypothèse d’une telle mesure signifierait ralentissement voire arrêt de l’activité économique. Aucun secteur, formel ou informel n’en serait épargné. L’économie camerounaise en pâtirait violemment ; mais ce qu’il faut davantage craindre c’est un état de paupérisation inquiétant à venir de certaines couches sociales, qui ont trouvé refuge dans le secteur informel et qui sont obligé de sortir très tôt chaque matin pour trouver de quoi nourrir leur famille. Avec un confinement général, la satisfaction de ce besoin physiologique de base devient hypothétique.
Certains estiment qu’on risque sombrer dans la faim si jamais on aboutit au confinement général. Ceci étant donné que la plupart des ménages n’ont pas d’épargne et vivent au jour le jour. Etes-vous de cet avis ?
Je partage amplement cet avis. A regarder comment la majorité des camerounais vivent vous convenez avec moi qu’il y a du souci à se faire. Le pouvoir d’achat de ceux qu’on peut déjà considérer comme étant dans la classe moyenne est précaire. C’est au prix de sacrifices et de privations que ces familles-là tiennent. Parfois en accumulant des prêts bancaires et des factures, le court terme devient le seul horizon sur lequel la survit se construit. Par aillers, s’il faut imaginer cette jeunesse de l’avenue kennedy, de mokolo, de mboppi ; du marché central, les exemples sont tellement légion, privée de sortie pour chercher leur pain quotidien on serait effectivement dans un cas de figure ou la crise sanitaire pourrait déboucher sur une crise sociale profonde.
Si, malgré tout, l’Etat décide d’adopter cette mesure extrême pour une question d’urgence sanitaire, à quoi pourrait ressembler le confinement, version Cameroun ? Quel sera visage de l’économie durant ces instants de confinement ? Quelles activités économiques/commerciales pourraient être autorisées dans notre contexte malgré le confinement ?
Si une telle mesure est prise, le confinent made in Cameroun ressemblerait à ce qu’on voit ailleurs ; c’est-à-dire, des rues vides, des boutiques fermées etc. Mais le Cameroun n’étant pas la France par exemple, les économies ayant des structurations différentes, les services sociaux étant aux antipodes, le citoyen lambda d’ici se retrouverait abandonné à lui-même par conséquent, il faudrait parfois s’attendre à ce que certains chefs de familles et jeunes bravent les interdictions pour tenter de sauver leur famille de la famine. Pour ce qui est des activités économiques et commerciales qui pourraient être autorisées, il s’agit des secteurs essentiels tels que la santé, l’agroalimentaire, le secteur financier et les services publics qui pourront continuer à exercer.
Des médecins préconisent de suspendre les voyages entre Yaoundé, Douala et Bafoussam. Qu’en pensez-vous ?
Cette mesure pour ma part, devrait déjà être effective et étendue à une interdiction de déplacement entre nos villes et nos villages. Elle aurait pour effet d’éviter des contaminations interurbaines et l’exposition du monde rural. Elle serait le début d’un confinent individuel efficace à travers lequel chacun essaie d’effectuer le moins de déplacement possible pour se protéger et protéger les autres.
Comment les différents acteurs de l’économie (l’Etat notamment) doivent s’organiser pour que les effets d’un probable confinement ne soient trop violents aussi bien sur les Pme que sur le secteur informel ? Quelles mesures d’accompagnement faudra-t-il adopter ?
Je pense que l’organisation efficace réside dans l’application scrupuleuse des mesures barrières. Elle est le préalable d’une limitation des effets néfastes potentiels qui seraient difficiles à maitriser. Plus vite la maladie est maitrisée, plus vite on pourra tous vaguer à une activité normale car une situation critique mettra tous les acteurs en difficultés sans exception, l’Etat y compris. Il pourra par exemple se retrouver débordé par des cas de maladies avec sa logistique limitée ; des entreprises pourraient être contraintes à l’arrêt de leurs activités ; avec des populations aux abois. Toutefois, ce qu’on peut faire dans l’immédiat on pourrait prendre un acte qui suspend certaines obligations. On pourrait aussi inviter les populations à constituer des greniers au cas où la tournure des évènements nous serait désavantageuse.
En cas de confinement, quel rôle pourrait jouer la Mirap, dont on n’entend peut parler depuis ?
Dans une période critique comme celle que nous vivons, on doit beaucoup attendre de la Mirap qui par essence est une entité conjoncturelle d’endiguement de crise alimentaire. Or la crise sanitaire du Covid-19 pourrait occasionner une crise alimentaire qu’il faudra solutionner. De ce fait, la Mirap peut jouer un rôle très important en organisant dans chaque commune des marchés sécurisés pour le ravitaillement des familles à faible coût ; surtout dans une période qui peut s’avérer très difficile. Ce serait un avantage par exemple pour chaque famille d’avoir un marché bien aménagé et sécurisé à proximité de leur domicile.
En Afrique de l’Ouest, la Banque centrale a pris un certain nombre de mesures face à la menace du Coronavirus, pour sauver les économies de l’Afrique de l’Ouest. La Beac devrait-elle faire pareil ?
Ce qu’on observe depuis un certain temps c’est la mise en veilleuse de certains critères de convergence et l’adoption de politique monétaire pro-investissement pour accompagner les Etat dans la sortie de cette crise. En Europe, la Banque Centrale Européenne a mis en place un plan de soutien de l’économie en injectant des milliards d’Euro et en gelant le critère relatif au déficit budgétaire de 3%. Ces mesures ont pour but d’apporter un peu d’oxygène aux économies éprouvées. Des mesures similaires ont été prises en Afrique de l’Ouest avec un plan de financement et la diminution des taux d’intérêt. C’est donc une politique qui s’impose partout et la BEAC ne saurait se confiner dans un monétarisme improductif. Un plan de soutien aux économies de la CEMAC doit à ce stade faire l’objet d’une réflexion sérieuse.
Propos recueillis par : Lucien BODO – Mutations N° 5065 – Jeudi 26 mars 2020